Compte-rendu argumenté, récupéré sur le site GEM GIF, animé par Dimitri Tchoreloff, qui m’autorise à le reproduire ici 😉
Un débat public qui aurait mérité plus de parole donnée
par Martine Debiesse Chatelier
19 janvier 2011, dans un amphi de Supelec, s’est tenu à Gif un débat public (le 49ème sur 56), sur le « Grand huit », ce métro automatique grande vitesse à la carte de visite impressionnante :
- 155km de voies nouvelles
- 3 lignes, la bleue, la rouge et la verte.
- 40 gares
- 2 à 3 millions de voyageurs par jour
- 23 milliards de coût au minimum
Il était question ce soir-là du « seul point qui pose encore problème », selon l’affirmation du maître d’ouvrage, la Société du Grand Paris : le Plateau de Saclay, que la ligne verte (« verte » ?!) prévoit de traverser de Versailles à Saclay, avec un détour par Saint-Quentin en Yvelines, avant de rallier Orly via Massy. Les temps de trajet annoncés laissent rêveurs… Pour aller de Saclay à Orly : 11 minutes (au lieu des 52 actuelles). Saclay à Roissy : 52 (au lieu de 116).
3h de débat, grignotées de moitié
C’était la première fois que j’assistais à un débat public, j’en ai donc découvert le fonctionnement… qui ne correspondait pas vraiment à l’idée que je m’en faisais. Trois heures de débat prévues… Très bien… mais grignotées (inévitablement) par les discours préliminaires (que chacun a, cependant, tenu à faire le plus court possible)… Grignotées par un film-pub sur le projet, beau, presque « trop », lisse mais malgré tout intéressant pour les chiffres présentés… Grignotées par la méthode elle-même : chaque trois minutes de parole offerte à une personne du public entraînait trois minutes de réponse du maître d’ouvrage. Quel que soit l’intérêt de celle-ci, il réduisait purement et simplement de moitié l’expression « du peuple »… Il restait donc, au mieux, 1h30 à un amphi plein à craquer, à 600 personnes assises pour certaines dans les travées, debout au fond pour d’autres, pour s’exprimer. Peu de temps, donc, et gageons que certains n’auront pas pu le faire.
D’autant que, et là, c’est peut-être une impression toute personnelle de citoyenne, une grosse partie des intervenants, choisis par l’animateur de la soirée parmi les doigts levés, avaient déjà eu des occasions de s’exprimer de par leur fonction ou leurs responsabilités politiques, associatives,… Interrogés directement par la Commission Nationale de Débat Public, ayant pris la parole dans d’autres débats de ce genre, ayant même pour certains fait un cahier d’acteurs. Quelle que soit la qualité de leurs interventions, il m’aurait semblé plus pertinent d’offrir le temps de parole à des gens qui ne l’ont pas d’habitude. A des citoyens simplement suffisamment intéressés par l’avenir de leur territoire pour s’être déplacés ce soir-là dans ce débat public. Ils auraient apporté un éclairage « au quotidien », toujours salutaire pour conforter ce que cogitent dans leurs bureaux parisiens les concepteurs de tels projets… ou le rendre plus adapté au terrain. Heureusement, il y en a eu quelques-uns…
Questions de citoyens
Une habitante de Bures, chercheur à Paris XI. Elle tient à souligner que contrairement à ce qui est dit partout, l’enthousiasme sur le projet concernant la fac d’Orsay est loin d’être unanime. De nombreux chercheurs ne comprennent pas l’intérêt de dépenser des milliards pour déménager la fac de 300 mètres. Tout cela pour quoi ? Faire se rencontrer les gens autour d’un café ? « Mais ce n’est pas comme cela que marche la recherche », explique-t-elle. (c’est ce qu’avait déjà dénoncé Dimitri Tchoreloff en avril 2010, dans l’article « Tous à la cafète »http://www.gemgif.fr/wbNewsFront/newsDetail/id/10).
Les chercheurs se rapprochent en fonction des projets sur lesquels ils travaillent et avec le développement d’Internet, cela se fait avec des gens qui peuvent être localisés à l’autre bout du monde. La proximité géographique ne changera rien. C’est comme elle l’appelle « le syndrôme de la machine à café ». Sous un tonnerre d’applaudissements, elle rappelle que le Plateau devrait se peupler de 50000 personnes supplémentaires en 14 ans, soit deux fois la ville des Ulis. Elle se demande, dans ces conditions, comment il sera possible de maintenir les 2300 hectares de terre agricole sur lesquels les acteurs locaux se sont mis d’accord pour être le minimum vital à garder si l’on veut préserver au Plateau son équilibre.
Une habitante de Courcelle : elle s’étonne qu’on parle uniquement des aéroports de Roissy-Charles de Gaulle et Orly, quand, dans son quotidien, « avion » évoque plutôt les passages, toutes les minutes de 6h20 à 22h30, entre octobre et avril, de petits avions d’affaires ou de tourisme ou d’hélicoptères en provenance ou en direction de Toussus-Le-Noble. Cet aéroport sera-t-il appelé à se développer plus encore avec ce projet ?
Un étudiant, parlant au nom de la dizaine d’autres qui lèvent obstinément la main depuis le début : les étudiants viennent de Saint-Quentin, de Paris, et de 5-10 km autour de Saclay. Il leur parait donc vital qu’il y ait une gare à Saclay pour leur permettre de gagner du temps sur leurs trajets quotidiens. L’idéal serait même une deuxième gare à 5km de là, vers Polytechnique. Ou de prévoir un système commode de bus.
Il tient aussi à répondre à François Lerique qui avait demandé à de nombreuses catégories de personnes de s’indigner sur ce projet. En parlant des étudiants, il leur avait dit de penser au fait qu’ils ne passaient que 4 ans sur le Plateau, alors que la plupart des personnes présentes y passaient toute leur vie.
Même discours à peu près pour une dame ayant envie de parler de « ceux qui travaillent sur le Plateau », mais en habitent loin parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer un logement dans les communes proches. Elle souligne néanmoins qu’actuellement, le CEA met une cinquantaine de bus à disposition des employés pour faire leurs trajets domicile-travail. Elle aimerait aussi que les liaisons douces ne soient pas seulement orientées déplacements de loisirs, mais adaptées aux gens qui vont travailler en vélo.
Quelques simples citoyens avaient choisi de s’exprimer par des questions écrites, collectées par le Président de la Commission de Débat Public, mais qu’on aurait apprécié d’écouter.
Questions d’associations de citoyens…
Un monsieur des Amis de la Vallée de la Bièvre : Si on regarde les gares prévues sur notre plateau, il y en a trois et elles sont toutes les trois en pleines terres agricoles ou dans des espaces naturels sensibles. Or tout le monde sait que quand une gare s’installe quelque part, cela signifie un étalement urbain et de l’urbanisation dans un rayon de 400m autour de la gare. Les trois gares prévues :
- La Gare Versailles Matelots : pourquoi ne pas utiliser celle de Versailles Chantiers ?
- La Gare de la Minière : en plein zone classée de la Vallée de la Bièvre.
· La Gare de Saclay : on va nous dire que la justification de cette gare est l’arrivée sur le Plateau de l’université de Paris XI et on justifie ce déménagement de la fac par l’envie d’avoir un bon classement international à Shangaï. D‘où l’idée de faire quelque chose de gigantesque. Mais peut-on réfléchir un instant au fait que Cambridge se classe 4ème et n’a « que » 16000 étudiants en comparaison des 40000 annoncés sur le plateau en 2025 ?
La question serait : comment utiliser mieux ce qui existe pour préserver les champs et l’environnement naturel exceptionnel de ce Plateau et des vallées environnantes ? Y a-t-il une alternative au massacre ?
Une personne de « Citoyens actifs et solidaires d’Orsay » : qu’est-ce qui pourrait faire que le développement de ce territoire soit équilibré ? Qu’il continue à y avoir un équilibre entre l’agriculture, le scientifique, l’économique, etc ? Car ce qui est prévu actuellement ne conduit pas à un développement équilibré, tout simplement parce que le financement du projet repose sur l’urbanisation des territoires autour des gares. L’agricole apporte une plus-value en terme de paysages, de rapprochement des produits du consommateur, de circuits-courts, mais pas au sens rapport immédiat et monétaire. Le projet n’a donc, par construction, pas tendance à préserver l’équilibre côté agricole.
Un agriculteur du Plateau de Saclay : Il a été voté le maintien de 2300 hectares de terres agricoles. Mais dans l’hypothèse la meilleure, avec un métro sous-terrain, on arrive à 3297 hectares. Or le projet d’enterrer le métro semble abandonné car beaucoup trop coûteux. Le maintien des 2300 hectares n’apparaît donc pas tenable. Nous, les agriculteurs, on préfèrerait qu’on nous dise carrément ce qu’il va nous arriver plutôt que de nous faire disparaître ainsi à petit feu. Le dispositif qui avait été mis en place pour capter le foncier semble avoir disparu.
Une personne d’un réseau associatif : il y a quatre projets « transports » : les réseaux existants, ArcExpress, le projet du Grand Paris et un mix Conseil Régional/Grand Paris. C’est surréaliste que tout parte ainsi dans tous les sens. En plus, comment le choix va-t-il être fait car on compare des choses, mais les évaluations ne sont pas faites de la même façon sur chacun des projets.
Proposition = qu’il y ait des experts publics pour examiner les coûts.
Il faudrait, de plus, que soit prévu un nouveau débat quand les 4 mois (= deux mois permettant à la commission nationale de Débat Public de consigner tout ce qui s’est dit au cours des débats publics + deux mois pendant lesquels le maître d’ouvrage va prendre les décisions en fonction de ce compte-rendu).
Une personne d’une association pour le désenclavement du Plateau de Saclay : nous avons essayé de voir comment améliorer la liaison avec Paris. Le Plateau à un quart d’heure de Montparnasse, cela est-il possible ? La réponse est « oui ». Est-ce très coûteux ? La réponse est « pas tellement » (tout étant relatif, bien sûr). Cela est-il difficile à mettre en œuvre ? La réponse est « non ». A vol d’oiseau, il y a 20km. L’idée serait donc de construire en sous-terrain un tunnel entre Vélizy et Montparnasse. Coût estimé ? 1 milliard d’euro, à mettre en balance avec les 23 milliards du projet du Grand Paris. Durée des travaux : 3 ans. Cette idée pourrait-elle être sérieusement envisagée ?
Une personne du CODESQY : il est prévu une gare à Saint-Quentin Est, mais c’est insuffisant. Il y a neuf kilomètres entre cette gare et Thalès, c’est aussi loin que la distance Porte de Charenton/porte Maillot. Il faudrait une gare au centre de Saint-Quentin. Il existe en outre, un corridor ferroviaire qu’il ne faudrait pas sous-estimer.
Le directeur d’une Grande Ecole: il faut un campus ouvert sur son environnement, qui permette aux étudiants d’avoir un engagement citoyen, de participer à la vie locale. Or, on a l’impression que le projet a tendance à refermer le Plateau sur lui-même. Il n’y a par exemple pas de vraie liaison prévue avec la Vallée.
Le président d’une entreprise de Saint-Quentin : pour les entreprises de Saint-Quentin, la création de ce pôle de recherche, est un enjeu majeur. Il faut donc un transport structurant entre les deux, mais pour l’instant, il y a trop d’incertitudes, en particulier, la gare de Saint-Quentin.
Le président de l’Association de Sauvegarde du Plateau de Saclay : En 2015, l’installation de la plupart des centres de recherche et universitaires venant s’installer sur le Plateau sera terminée, apportant un flux de population qu’il sera nécessaire de gérer : en terminant le TCSP en cours de réalisation et en ajoutant des lignes de bus. Le métro du Grand Paris arrivera donc avec 10 ans de retard, comment peut-on, du coup, le justifier ?
… et des problématiques bien rappelées par les personnalités présentes
« L’idée serait de commencer par densifier l’existant. Polytechnique par exemple. » Pierre Weiss (Président de l’EPPS)
« Le métro Grand Paris est une opportunité unique de relier Saclay à la Zone de Saint-Quentin. Il faut par contre articuler mieux le projet avec le Stif Et développer l’urbain sans toucher à la terre agricole. » Jean-Pierre Pervès (Président du CES)
« On discute de tracé alors qu’on n’a même pas débattu de l’opportunité du projet. Quand on, dit que le Plateau de Saclay n’a pas changé, que fait-on de l’AMAP, par exemple. Il faudrait faire des cahiers d’indignation. » F. Lerique (Président de l’AMAP)
Et pêle-mêle, voilà des remarques faites par les nombreuses personnalités politiques locales, régionales ou même nationales, présentes dans la salle :
« La priorité est à l’amélioration de l’existant. Quand on voit qu’il est constaté 22% d’irrégularité sur la ligne B. Puis, il faudrait développer les liaisons de proximité. »
« On ne fait pas de projets transports quand on ne connait pas les projets d’aménagement. Il faut répondre aux besoins du présent tout en préservant l’avenir »
« Il ne faudrait pas oublier la zone de Courtaboeuf quand on pense aménagement du Plateau de Saclay. Il faut faire attention à ne pas créer un ghetto de chercheurs. »
« Il faut améliorer l’existant, RERB et TCSP, en complétant, à terme, selon la fréquentation, par un tram-train. »
« Dans ce projet, on n’entend que le mot « vitesse ». La Ville de Gif n’ayant pas dit « non » pour l’instant au projet est considérée comme le validant. »
« Une silicon Valley, ça ne se décide pas, ça se construit petit à petit. Rien n’est prévu au niveau de la liaison Vallée-Plateau. »
« Si le projet se construit avec pour réel objectif de préserver le poumon vert qu’est le plateau de Saclay, alors ce serait un mauvais usage de l’argent public que d’investir dans une telle gare. »
Paul Carriot, président de séance, membre de la Commission Nationale du Débat Public, clôt la séance, ayant dû prolonger la séance d’un quart d’heure, mais n’ayant pu, malgré cela, donner la parole à tout le monde.
Au final, cette réunion, si elle a eu le mérite d’exister et de laisser quelques citoyens s’exprimer, n’était-elle pas qu’un lamentable leurre ? En effet, à la même heure se tenait, dans un cabinet ministériel, une réunion entre l’Etat et la Région. Son objectif : tracer un nouveau schéma issu du «Grand huit » de l’Etat et du projet de la Région : « Arc express », le point d’achoppement étant justement ce qu’il fallait faire sur le plateau de Saclay !
Alors à quand un véritable débat public et une véritable consultation des citoyens de notre territoire ?!