Le Grand Paris au Sénat: Intervention du Sénateur Denis Badré

Le projet du Grand Paris est en examen au Sénat, selon une procédure parlementaire « d’urgence », imposée par Christian Blanc. Les textes  relatifs à l’aménagement du Plateau de Saclay sont inclus dans ce projet de loi.

Le sénateur Denis Badré fait partie de la commission sénatoriale chargée de son examen. Voici le texte de son intervention, disponible sur son site.

M. le Président,

M. le Ministre,

Mes chers collègues,

Notre débat est organisé en urgence.

Oui, il y a urgence. Urgence, il y avait hier, il y a aujourd’hui, il y aura demain. La compétition mondiale, en effet, ne nous attend pas.

Les retards pris doivent être rattrapés, les problèmes du jour doivent être traités et il faut anticiper sur ceux de demain.

Il ne faut pas pour autant confondre vitesse avec précipitation. Et puisqu’il y a retard sur ce débat, il fallait d’urgence l’ouvrir,… et le traiter complètement. Heureusement, bâcler n’est pas le genre de notre rapporteur, Jean-Pierre Fourcade. Et ce ne fut évidemment pas le choix de notre Commission spéciale. Sous l’autorité éclairée du Président Emorine, celle-ci s’est mise au travail. Elle l’a fait dans le calendrier contraint imposé. Mais avec toute l’ardeur possible. Le sujet en valait la peine. Les défis à relever ne pouvaient nous laisser attentistes… Le travail accompli en deux mois, la passion qu’y a mis notre Commission attestent de notre volonté unanime d’aller vite et loin. Notre Assemblée aura apporté une contribution majeure au texte. Nous commençons à être vraiment dans le sujet, à en mesurer la complexité et à en maîtriser nombre d’aspects. Et c’est là que, du fait de l’urgence, l’élan va être cassé. Une CMP et ce sera terminé. C’est bien dommage ! Vus les retards accumulés, on n’était plus à un quart d’heure près… Une navette aurait, c’est plus que sûr, enrichi le texte .

Monsieur le Ministre, le Gouvernement a fait ici un choix que je regrette. Il va vous falloir trouver une manière de poursuivre en conservant l’élan.

La récente campagne électorale a donné le fâcheux sentiment que le débat pouvait se résumer à un règlement de compte politicien entre l’Etat UMP et la Région P.S., promoteurs respectifs de deux « stratégies » différentes. Il appartient à l’un et à l’autre aujourd’hui de montrer qu’il ne s’agissait pas de postures de circonstance et qu’ils sont déterminés à sortir d’un face à face paralysant, pour retrouver le chemin d’un partenariat actif. Peut-être auront-ils besoin du Centre pour cela…

C’est d’ailleurs beaucoup plus largement encore que notre débat doit être fédérateur. Il ne faut pas seulement amener l’Etat et la Région à se parler. Nous aurons fait œuvre utile si Franciliens et provinciaux comprennent qu’il s’agit d’un débat national, et même européen, qu’il s’agit d’enjeux d’aménagement de notre territoire qui ne peuvent laisser indifférents ni les uns ni les autres. D’ailleurs ne sommes-nous pas tous élus « nationaux » ? Derrière nos collègues normands, directement intéressés et le Président Emorine dont l’engagement personnel est porteur de sens, il me parait souhaitable que nous nous mobilisions tous sur ce sujet déterminant pour l’avenir du pays. Vider la province au profit de Paris serait aussi absurde que refuser au Grand Paris les moyens nécessaires pour s’imposer sur la scène mondiale, au bénéfice de ses habitants comme de l’ensemble de nos compatriotes. J’indique au passage que c’est précisément dans cet esprit que l’Altoséquanais que je suis est membre de notre groupe montagne comme de celui que vient de lancer notre collègue Pierre Bernard-Reymond sur les zones enclavées. Nous sommes tous peu ou prou à la fois « enclavés » et « franciliens » !

Dans le même esprit, il nous faut poser et traiter, sans les caricaturer et pour les dépasser, les problèmes qui peuvent opposer l’Est et l’Ouest de la Région, Paris intra muros, la petite et la grande couronnes, voire même, entre elles, telle ou telle de nos intercommunalités ou de nos communes. Nous avons ici une exceptionnelle opportunité de fédérer, de « travailler ensemble », bon exercice pour des Français dont ce n’est pas le penchant naturel.

Pour progresser durablement, il faut également, me semble-t-il, éviter plusieurs écueils :

-Eviter toute recentralisation, tentation constante de la France jacobine. Il ne faut pas biaiser avec le principe de subsidiarité !

-Eviter de compliquer encore une organisation déjà lourde et peu lisible.

-Eviter, enfin, d’aller vers une spécialisation des territoires qui concentrerait par exemple les entreprises à la Défense, la science à Saclay et les logements ailleurs. Pour que chaque territoire soit vivant, il faut pratiquer à toutes les échelles une mixité bien tempérée. Je note ici qu’un très bon instrument de cette mixité est l’intercommunalité. Une Communauté d’agglomération peut construire son projet en visant le meilleur équilibre logement- emploi-transport. Autant les très grands équipements structurants, tels qu’0péra, Grand Stade ou, bien sûr, aéroports, doivent se concevoir à l’échelle du Grand Paris, autant l’équilibre du Grand Paris ne peut être recherché qu’à travers celui de chacune de ses parties. Les intercommunalités en seront donc des acteurs majeurs. Cela va sans dire. Mais mieux en le disant…

Pour éviter ces écueils (recentralisation, complexification, spécialisation), il faudra bien parler de « gouvernance », et pas trop tard ! C’est dès la conception du projet qu’il faut dire comment il sera mis en œuvre et comment il sera financé. Jean-Pierre Fourcade y a fort justement insisté.

Monsieur le Ministre, au-delà du texte de ce jour, « le projet » du Grand Paris a pu être présenté, très caricaturalement, comme étendant la compétence du préfet de police à la petite couronne, offrant un « Grand Huit » pour répondre à l’attente de transports, et structurant le mouvement engagé sur le Plateau de Saclay pour donner à l’ensemble une caution scientifique.

A la réflexion, l’existence de cette caricature peut amener une réflexion. Le sujet étant vaste et complexe, il fallait entrer dans le débat. Vous l’avez fait ! Il faut aussi maintenant identifier celui-ci en proposant très vite quelques images concrètes. Pourquoi ne pas chercher quels « emblèmes » effaceront la caricature ?

Reprenant les trois points de celle-ci, j’en propose donc également trois :

-Premier « emblème »: Un Parisien peut traverser le périphérique, même -et peut-être surtout- s’il est préfet de police. Les truands le font bien. Sachons décloisonner et unir.

-deuxième emblème : priorité aux transports. Entrer dans le triptyque « logement-emploi-transport », clé d’un aménagement durable du territoire, par le côté « transport » est une bonne manière non seulement d’entrer mais de « plonger » dans le débat.Encore faut-il, pour être alors crédible, avoir une réelle volonté de ne pas en rester là et relier assez rapidement le côté « transport » aux deux autres, « emploi » et « logement ». Notre Commission s’y est employée.

Encore faut-il également poser complètement le problème vraiment crucial des transports. Et dire ce qui sera fait, quand et avec quel financement. L’usager du réseau actuel n’a pas besoin d’être sensibilisé au sujet. Il l’est et, malheureusement, très négativement, notamment s’il fréquente le RER B, les lignes 13 ou 14 du métro ou la gare Saint-Lazare…. Il subit tous les jours le fait que les renforcements rendus nécessaires par une forte et régulière augmentation du trafic ne suivent pas. Le transfert amorcé du transport individuel vers le collectif est une bonne chose, à condition que les moyens suivent. Si de très importants renforcements sont de première et d’absolue nécessité, il faut aussi combler les lacunes flagrantes : prolongation d’EOLE à l’ouest, désenclavement de Roissy ou de Saclay, Gares TGV à Orly et à la Défense, pour ne citer que quelques exemples. Si l’on veut, enfin, éviter qu’on se retrouve demain face aux mêmes difficultés, amplifiées, il est indispensable d’anticiper sur les besoins du futur. C’est par là que vous avez choisi de commencer. Notre grosse préoccupation concerne – vous le savez Monsieur le Ministre – la coordination dans le temps et le financement de l’effort à réaliser à ces trois horizons : renforcements, couverture des lacunes, préparation de l’avenir. Il est clair, en tout cas, que nous contenter de répondre à notre usager exaspéré d’aujourd’hui qu’il pourra disposer dans quinze ans d’un Grand Huit , fut-il rapide et automatique, relèverait de la provocation….

-Et j’en viens à mon troisième emblème. Mettre le projet sous le signe de la recherche et de l’enseignement supérieur s’imposait dès lors qu’on parle de compétitivité. Alors allons au bout de la démarche. Faisons un véritable emblème de cette priorité à la recherche,… en branchant d’emblée le plateau sur le très haut débit.

Monsieur le Ministre, nous sommes passionnés par notre débat, car nous sommes sur un vrai sujet, sur un immense sujet. Nous ferons œuvre utile dès cette première étape si nous avons des idées claires sur la question générale du devenir du Grand Paris, de sa place et de son rôle dans le monde comme dans le pays. Je ne peux donc que souhaiter la plus grande ouverture pour notre débat, sûrs que nous saurons travailler ensemble et avec vous, monsieur le Ministre, ici en séance, comme nous avons choisi de le faire en commission.

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2 réponses à Le Grand Paris au Sénat: Intervention du Sénateur Denis Badré

  1. David Orbach dit :

    Bonjour,

    Voici pour votre débat notre réflexion sur le Grand Paris.

    – article paru dans le JDD :
    http://www.lejdd.fr/JDD-Paris/Actualite/Le-Grand-Paris-comme-un-New-New-York-183380/

    – Article paru dans le journal Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment :
    http://www.lemoniteur.fr/155-projets/article/point-de-vue/700400-le-grand-paris-comme-un-nouveau-new-york

    – Article paru dans le journal Agoravox :
    http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-grand-paris-comme-un-new-new-72902

    Cordialement et bonne lecture.

    David Orbach
    architecte urbaniste

  2. EvelyneD dit :

    Merci beaucoup pour ces articles. La vision de « villes-mondes », la comparaison avec New-York ou Shanghai, sont bien celles défendues par le couple Sarkozy-Blanc.
    Ce n’est pas notre Paris, Panam…., où il fait bon vivre.

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